Le jeune bâtard poilu parle en émettant des miaulements roucoulant. Il est dressé en équilibre sur le dossier de la chaise, une patte avant en appui sur la vitre, l’autre qui s’allonge et tapote au carreau, bien loin au-dessus de sa tête. Dehors, les mésanges et les moineaux le narguent. Le soleil aussi.
Les tics tacs des deux horloges de la cuisine résonnent en décalé. Par petites gorgées, je bois un Russian Earl Grey brûlant. Les parfums de citron et de citronnelle restent en bouche bien après ceux de la bergamote et du thé noir. J’ai envie d’une cigarette. Je me demande ce que tu vis en ce moment, où tu es et puis, je passe à autre chose.
Ses mots récents reviennent à mon esprit, « Non, tu n’en es pas au même point, beaucoup de choses ont changé depuis ton départ ». Des séquences accélérées de mon passé défilent. Pause imagée sur ton sexe et le souvenir que j’en ai. Ma langue qui s’amusait de ses défauts. Mon vagin qui l’épousait à la perfection. Cette plénitude qui s’ensuivait de tes pénétrations. Ta façon de te lover au creux de mes reins après ou avant, de me glisser entre tes bras. Je chasse les autres souvenirs, tes ronflements qui m’empêchaient de dormir.
J’allume une cigarette. Le goût âcre du tabac me surprend et me dégoûte un peu. Non, ce n’est plus pareil, j’ai réalisé tellement en si peu de temps.
- Elle ne sait pas dire non. Enfin, elle met du temps à le dire.
- Peut-être qu’elle a un modè…
- Oui, c’est vrai. Dire stop ça suffit, ça m’a pris longtemps. Aujourd’hui, je suis capable de trancher et de dire non, je refuse parce que ce n’est pas bien pour moi, parce que ce rôle qu’on aimerait que je joue, ce n’est pas moi… J’ai commencé à écrire un roman. C’est fluide… Est-ce qu’on se transmettrait cette soumission de mère en fille depuis…?
Il a souri en entendant cela et a suggéré des exercices que nous réaliserons lors de notre prochaine fois, parce que mes envies reviennent. Je ne lui ai pas précisé que l’histoire évoquait le destin de trois femmes sur trois générations, il ne m’en a pas non plus demandé le sujet. J’ai encore parfois l’envie de le toucher. Souvent, je l’écoute parler en suivant les rides et ridules qui ont maintenant envahi son visage et je me demande s’il me voit aussi vieillie, s’il aurait encore l’envie de m’embrasser. Je lui touche l’avant-bras avant de partir, un attouchement léger, de quoi sentir sa peau et ses poils. Est-ce que sa femme et lui font encore l’amour ?
Les rayons du soleil caressent mon visage. C’est chaud et bon, je ferme les yeux. J’entends la conversation de deux femmes qui s’approchent. Elles passent devant la maison en marchant d’un pas vif. J’écrase ma cigarette avant de rentrer pour passer la deuxième couche sur cette table basse que je viens d’acheter pour aussi cher qu’un paquet de clopes. Est-ce que tu es amoureux ? J’aimerais que tu le sois. Est-ce qu’elle a des enfants ? J’aimerais que tu sois heureux.
J’ai le caractère d’un félin, chat ou panthère. La table sera peut-être moins foncée que je l’avais envisagée. J’écris. Dans les enceintes, le groupe cubain Vocal Sampling reprend a capella Hotel California des Eagles. Magie de l’instant présent.