Je veux une petite robe rouge
Une petite robe rouge bon marché
Une petite robe rouge trop mince
Une petite robe rouge trop serrée
Qui pourrait déchirer à tout moment
Une petite robe rouge trop échancrée
Une petite robe rouge trop décolletée
Une petite robe rouge fendue comme un fruit mur
Une petite robe inconvenante et vulgaire
Une petite rouge malhonnête
Mais assez honnête pour qu’on n’ait pas à deviner
Ce qu’il y a – ou n’y a pas – en dessous
Je veux me balader dans cette robe rouge
Sur le trottoir en face de chez toi
En me déhanchant si intensément
Que le bruit de frottement
Que ferait mes fesses et mes jambes
Serait assez tonitruant
Pour ameuter tout le voisinage
Je veux qu’à mon passage
Les ouvriers de la voirie
En aient la bouche si sèche
Qu’ils seraient incapables de siffler leur désir
Et que leurs plates obscénités
Resteraient prises dans leur gorge
Tant que tous leurs sens seraient subjugués
Sous l’empire de ma petite robe rouge
Je veux que les gamins
Inscrits à l’école buissonnière
La clope volée chez le dépanneur à la bouche
Soient pétrifiés de panique
Saisis par leur première érection
À la vue de mes seins sur le point de bondir
Hors de ma petite robe rouge
Je veux que le ménagères
Celles qui tâtent toutes les courgettes du marché
En perdent toute contenance
Toute retenue toute bienséance
Et qu’elles se mettent à couler de sève printanière
Folles de désir et de jalousie
À la vue de mes jambes
Fuyant hors de ma petite robe rouge
Je veux même que les flics
Le regard vacant et la sueur bovine
La matraque entre les cuisses
Et le code de la route dans le crâne
En oublient leur devoir de chiens savants
Pour se transformer en êtres humains
Et spontanément tapissent leur slip
De foutre constabulaire
Devant l’émouvant spectacle mouvant
De ma petite robe rouge
Je veux une petite robe rouge
Pour déclencher dans la foule un tel orage hormonal
Qu’il produirait assez de phéromones
Pour saturer l’air de ton quartier
Et puisse te tirer de ta torpeur
Pour te sortir de ta chambre
Pour que tu coures te jeter à mes pieds
Toi qui n’as pas encore daigné me rappeler
Parce que je n’avais pas de petite robe rouge
Je veux une petite robe rouge
Pour enfin devenir moi-même
– Mais en mieux
Un moi-même sublime et sublimé
Défini par ma coupe et ma couleur
Et par rien d’autre
Je veux une petite robe rouge
Impossible à enlever
Car elle serait ma peau et mes os
La surface lisse indissociable de mon être
Sous laquelle on ne trouverait que le néant
Si on avait l’audace inouïe de la soulever
Je veux une petite robe rouge prête à porter
– Dans le sens que ce serait elle
Qui serait prête à me porter
Pendant que moi je me contenterais
De ne rien dire
De penser à rien
De ne rien vouloir
Et même de ne pas exister
Autrement qu’en tant que petite robe rouge
Un chiffon qui sert à faire bander
Sur lequel on éjacule et on s’essuie
Et que l’on jette après usage
Sans arrière-pensée
Et sans regrets