— Je ne comprends pas pourquoi tu tiens tant à vivre seule.
— Je suis comme ça, c’est tout. C’est un mélange d’agoraphobie et de misanthropie.
— Personne ne souhaite la solitude. La solitude est une malédiction… et ce n’est pas naturel.
— Ça l’est pour moi.
— Tu n’as pas de chat ? Je croyais avoir lu quelque part que tu avais des chats ?
— Mon ex est partie avec deux d’entre eux et le dernier est mort d’une leucémie l’an dernier. Il y a un chat errant qui me rend visite de temps en temps, sur le bord de la fenêtre. Il vient chercher un peu de bouffe et des caresses, puis il s’en va. Il est très indépendant et c’est le genre de chose que je respecte. Je lui ai bricolé une plate-forme : c’est là qu’il vient se prélasser et jouir de ma compagnie.
— Tu es trop belle pour vivre en ermite.
— Tu es gentille de me dire ça, mais je ne vois pas le rapport.
— C’est injuste de ne pas partager ta beauté. Pire : c’est égoïste.
— Je trouve surtout que c’est n’importe quoi. Si tu me trouvais repoussante, ce serait ok? Tu serais d’accord pour que je reste cloîtrée, moi et ma laideur, dans mon demi-sous-sol?
— Ce n’est pas ce que je voulais dire.
— C’est exactement ce que tu voulais dire, mais peu importe. Je comprends. C’est ce que vous me dites toutes.
— Qui ça, toutes?
— Vous tous, les sapiosexuels timbrés qui avez la drôle d’idée de s’amouracher de l’idée que vous vous faites de moi à travers les petits textes que je publie de temps à autre. Et qui faites des pieds et des mains pour me retrouver et me rencontrer, quitte à attendre des mois et des années jusqu’à ce que, à bout de d’excuses et de prétextes, je cède et concède un rendez-vous.
— Je ne veux pas que tu penses que je suis folle…
— Tu n’es pas folle. Juste un peu superficielle.
— J’ai d’abord aimé ton intelligence. Je n’avais pas besoin de te voir pour tomber en amour. Ou savoir que tu es belle.
— Tu ne sais rien de moi. Tu es superficielle, mais ce n’est pas un drame. Ni un défaut. C’est dans ta nature, comme c’est dans la mienne de me cacher et de rester seule, bien à l’abri du monde.
—La nature t’a faite pleine d’imagination tordue et de fantasmes fous. Elle m’a faite pleine de désir de me plier aux ordres d’une femme que j’admire. Ne vois-tu pas que nous sommes complémentaires ?
— Peut-être…
— Il n’en tient qu’à toi de le découvrir. Peut-être que tu te rendrais compte que je ne suis pas aussi folle et superficielle que j’en ai l’air.
— Ah oui ? Et si je te bricolais ta propre plate-forme ? Tu pourrais venir chercher un peu des caresses, puis t’en aller… mais attention, tu n’aurais le droit de te prélasser et de jouir de ma compagnie que lorsque je t’en donne l’autorisation, selon mes caprices et mon bon vouloir. Qu’est-ce que tu en penses ?
— À quel endroit la plate-forme ? Sur le rebord de la fenêtre ?
— Mais non, mais non. Tu es trop grande pour ça… et puis c’est la place du chat et il est très jaloux. Je pensais plutôt à ma chambre. J’ai des crochets au plafond qui ne demandent qu’à servir, un matelas de sol imperméable et pas du tout inconfortable, un collier de cuir et une chaîne que je pourrais attacher à la patte de mon lit… Ça te conviendrait ?
— Je pourrais apprendre à aimer. Peut-être que je n’aurais même pas à l’apprendre. Peut-être que c’est dans ma nature.
— Je commence à le croire.
— Tu me le passes ce collier, histoire qu’on voit s’il me fait ?
— Oublie ce que j’ai dit tout à l’heure. Tu n’es pas superficielle du tout.