C’est l’histoire d’un roi amoureux d’une femme qui aurait eu 6 doigts à une main. Par sa faute, le roi fut excommunié. Dans “Les revers de l’amour”, l’historienne Sabine Melchior-Bonnet raconte l’invention du divorce.
Durant l’antiquité, les romains et les germains pouvaient renvoyer leur femme. La tradition perdure sous le christianisme : on répudie beaucoup et surtout «dans les familles riches», explique l’historienne Sabine Melchior qui consacre un ouvrage foisonnant – Les Revers de l’amour (éditions PUF) – aux ruptures conjugales. Que signifie «rompre» à l’époque des Carolingiens ? Quel est le pourcentage des meurtres passionnels au Moyen-Age ? Notre époque facilite-t-elle les séparations ? Pour illustrer son propos, l’historienne raconte les 18 histoires de rupture les plus marquantes de notre histoire. Cela va du récit tragique d’Héloïse et Abélard jusqu’à l’accident mortel de la princesse Diana. En filigrane de ces récits, c’est l’histoire même du mariage qui se dessine. L’occasion de découvrir dans quelles étranges circonstances l’église anglicane a vu le jour : une histoire d’amour, celle d’Henri VIII d’Angleterre.
Henri (18 ans) épouse Catherine (24 ans)
Lorsqu’il monte sur le trône d’Angleterre, en 1509, Henri VIII, âgé de 18 ans, épouse une femme «loyale, courageuse, fière et ne cédant au luxe que ce que son rang réclame» : Catherine d’Aragon. Elle fait tout pour servir son mari. Elle assure le gouvernement du royaume quand il part en campagne. Mais elle ne parvient pas à lui donner un fils. «Vingt années de mariage et six grossesses ne suffiront pas à lui épargner l’humiliation et le scandale d’être traînée en justice, répudiée, exilée de la cour», résume Sabine Melchior-Bonnet qui raconte le drame en trois actes.
«Le drame se déroule en trois actes»
Au premier acte, «le roi Ferdinand d’Aragon et la reine Isabelle de Castille donnent leur fille Catherine en mariage à Arthur, fils du roi d’Angleterre Henri VII : il s’agit d’assurer l’alliance des deux royaumes, Espagne et Angleterre […]. Les négociations matrimoniales commencent vers 1495 – la fillette a 10 ans – et durent plusieurs années ; […] avant de donner leur accord, les souverains espagnols doivent arbitrer entre plusieurs propositions, calculer la dot, les frais du voyage, le déplacement des suivantes, le coût de la maison de la princesse». En 1501, lorsque l’infante âgée d’à peine 16 ans débarque à Plymouth, avec à peine trois mots d’anglais en bagage, elle se retrouve seule. Son fiancé est si fragile qu’il meurt quatre mois après leurs noces, sans l’avoir touchée. Tuberculose.
Une infante vierge qui se morfond
De nouvelles négociations ont lieu : il s’agit de lui faire épouser le jeune frère d’Arthur, Henri, devenu héritier de la couronne. Comme l’union d’une veuve avec le frère du mari défunt pose problème, il faut tout d’abord obtenir une dérogation du pape, qui tarde… «Les décès successifs de deux papes retardent la réponse ; la bulle n’arrive qu’en 1504.» Après quoi, il faut vaincre les réticences d’Henri VIII. Le mariage n’a finalement lieu qu’en 1509. Catherine a 24 ans et sa vie de femme peut enfin commencer. Hélas, «les fausses couches, les naissances d’enfants mort-nés se succèdent ; seule la petite Marie née le 18 février 1516 va survivre.» Henri VIII s’inquiète : pas d’héritier mâle !?
Une épouse délaissée
Au deuxième acte, il y a une reine petite et grosse, au corps fatigué par les grossesses, aux cheveux ternes, qui ne parvient plus à remplir sa fonction (génitrice). Le roi la trompe. En 1514, il a une courte liaison avec la sœur du duc de Buckingham. En 1519, il fait un enfant à une demoiselle d’honneur de la reine, Elizabeth Blount (qui met au monde un petit garçon). En 1521, Henri VIII prend ensuite «pour maîtresse la jolie et légère Marie Boleyn, fille d’un conseiller royal». En 1525, il la troque pour sa soeur, succombant aux charmes d’Anne Boleyn, alors âgée d’environ 20 ans (Catherine en a 40) et qui revient tout juste de la cour des Valois, où elle a appris les finesses de la langue française, de la mode et de la danse.
Qui est Anne Boleyn ?
Anne Boleyn n’est pas d’une éclatante beauté, «mais elle est intelligente, spirituelle, cultivée, artiste et surtout obstinée ; de grands yeux noirs en amande, des traits fins, des cheveux noirs qui encadrent un long cou, un corps svelte : elle a beaucoup de charme selon les uns, mais selon les autres, son teint est bistre et sa figure maigre ; sa bouche laisse voir une dent mal rangée, et elle cache un kyste au menton sous la collerette, sans parler d’une difformité, une main à six doigts [ou serait-ce l’existence d’un ongle surnuméraire sur le petit doigt ?]. Elle joue du luth et sa conversation est vive et enjouée. En vérité, son immense talent est de savoir se faire désirer.» Anne résiste à tous les hommages, refuse les prétendants. En 1526, Henri VIII lui écrit des lettres enflammées : «Mon petit cœur, je vous assure que je trouve le temps plus long depuis votre départ […]. J’aspire tant à me retrouver un soir dans les bras de mon aimée dont j’embrasserai bientôt les jolis seins.»
Rupture entre l’Angleterre et la papauté
Dès 1527, le roi lui parle de mariage. Anne Boleyn l’encourage. Il s’agit d’obtenir l’accord du pape. La stratégie première d’Henri : invalider son mariage avec Catherine à la lumière des textes du Lévitique (qui condamne le mariage entre une veuve et le frère du mari mort). Las, le pontife refuse d’annuler ce mariage. Deuxième solution : faire juger le cas par des prélats anglais. En 1529, un procès est solennellement organisé. Henri et Catherine sont cités à comparaître. Catherine opte pour une défense poignante, se jetant publiquement aux pieds de son époux : «Sire, je vous supplie au nom de l’amour qui a pu exister entre nous et pour l’amour de Dieu. Prenez en pitié une pauvre femme […] J’ai porté vos enfants et qu’y puis-je si Dieu les a rappelés à lui ?». Shakespeare relate la scène jusqu’aux plus petits détails, qu’il a recopiée sur des sources jugées sûres, datant de 1533.
Naissance de l’église d’Angleterre
Après sa diatribe pathétique, Catherine se relève, fait une révérence puis se retire en refusant de répondre aux questions. Henri VIII, hypocritement, invoque la loi de dieu. «L’interdiction du Lévitique relève du droit divin, et dans ce cas le pape ne peut pas exercer son autorité ecclésiastique» Henri VIII déssaisit le pontife de son autorité. Le schisme est consommé lorsqu’en 1533 les pouvoirs anglais prononcent la nullité du mariage royal. La reine Catherine reçoit l’ordre de se retirer dans un vieux château retiré. Henri VIII et Anne Boleyn se marient. Rome excommunie les coupables mais qu’importe : désormais, Henri VIII considère qu’il est le «Chef Suprême de l’Église et du Clergé d’Angleterre», donc au-dessus des anathèmes. Suite à ce schisme spectaculaire, la rupture du mariage est admise par cette religion qui prendra plus tard le nom d’anglicane. D’une certaine manière, Henri VIII a inventé le divorce, résume l’historienne… pour les beaux yeux d’une maîtresse.
Anne Boleyn, mort d’une reine
Lorsqu’elle épouse son roi, Anne Boleyn est enceinte de ce qu’il croit être un beau garçon. Des fêtes superbes ont été préparées en vue de marquer l’événement. Mais c’est une fille. «Anne fait ensuite deux fausses couches successives en 1534 et 1536. Dieu punit-il le souverain pour ce que l’Église nomme son concubinage royal ? Déjà Henri VIII a pris une nouvelle maîtresse et retiré à Anne ses faveurs.» En 1536, 5 hommes proches d’Anne Boleyn sont accusés d’être ses amants : l’un d’entre eux avoue sous la torture. Les autres nient en vain : tous coupables. Anne clame son innocence mais la sentence tombe : le bucher ou l’épée, au bon plaisir du roi. Par clémence, ce sera une décapitation. Le 17 mai 1536, le divorce d’Henri VIII et Anne Boleyn est prononcé. Anne est exécutée le surlendemain. Dix jours après, le 30 mai, le roi épouse sa nouvelle bien-aimée, une beauté blonde et pâle nommée Jeanne Seymour dont le portrait par Hans Holbein se trouve au Musée d’art de Vienne.
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A LIRE : Les revers de l’amour. Une histoire de la rupture, de Sabine Melchior-Bonnet, éditions PUF, 2019.
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