Ils portent des couches ? A la différence des fétichistes du latex, les Adult Babies ne sont pas considérés comme très "glamour". Ce sont les parents pauvres de la communauté kinky. Il existe pourtant des stylistes de mode pour les adeptes de régression.
La défiance vis-à-vis des Bébés Adultes s’appuie sur six idées reçues : 1. Ils-elles érotisent la petite enfance (des pédophiles visant les nouveaux-nés ?) ; 2. Leurs pratiques sont toujours sexuelles (des pervers-es en grenouillère ?) ; 3. Ils-elles constituent une infime minorité de personnes (un phénomène marginal ?) ; 4. Ils ont recours à des prostituées (aucune femme ne veut d’eux ?) ; 5. Ils-elles aiment macérer dans leurs excréments (scatophiles et urophiles ?) ; 6. Ils sont devenus AB parce qu’ils se sentent socialement inadaptés (refus du monde réel ?). Qu’en est-il ?
1. Adult Babies, Teens, Ageplayers ou Littles ?
Les seuls enfants qui les intéressent, ce sont eux-mêmes (elles-mêmes). Le jeu de rôle des Adult Babies (1) repose souvent sur une régression qui inclue la perte simulée de tout contrôle : souhaitant revenir à l’âge de l’innocence et de l’incontinence, la plupart des AB jouissent de n’être plus que des petites choses tendres. Il serait cependant faux de croire que tous les AB boivent au biberon, se font materner dans des décors de crèche ou font dans leurs couches. De fait l’expression Adult babies n’est pas toujours acceptée par les membres de cette communauté. Suivant une convention plus ou moins répandue outre-atlantique, l’expression Adult babies désigne les personnes qui jouent le rôle d’un nourrisson (un enfant de 0 à 2 ans environ). Viennent ensuite les auto-proclamés Baby boys et Baby girls qui pratiquent les mêmes jeux (tétine, biberon, langage bébé), mais en poussant jusqu’à l’âge de 4 ans. Les Littles s’identifient à des enfants âgés de 4 à 10 ans, c’est-à-dire qu’ils s’adonnent à l’amour des dessins animés et des gadgets roses tout en étant capables de parler avec des adultes. Ils sont suivis par les Middles (10-13 ans) puis par les Teens (13-18 ans). Certains membres de la communauté se désignent aussi comme Age-players, parce qu’ils jouent à ne pas avoir leur vrai âge mais en changeant sans cesse de catégorie. Quelle que soit l’appellation choisie, le but du jeu consiste à mimer la personne démunie, dépendante, vulnérable, qui a besoin de soins.
2. Avec ou sans sexe ?
Le jeu implique deux personnes, comme dans le SM : la première étant «assistée», l’autre «responsable». Quand le scénario repose sur un fantasme de soin, la première ne désirant que des câlins ou du maternage, l’autre personne sera nommée «nounou», «maman», «papa» ou assumera le rôle d’un-e puériculteur-rice. Pour certains Bébés Adultes, la séance ne doit comporter strictement AUCUN acte de nature sexuelle. Ils ne désirent qu’être choyés, d’une voix tendre, douce et basse, qu’on leur raconte des histoires, qu’on s’occupe de leur toilette et qu’on les aide à s’endormir. «La plupart du temps les pratiquants de la régression n’éprouvent aucune excitation sexuelle lors de la régression et refusent même cette éventualité», confirme le site Diaper Alliance Foundation. Pour d’autres AB, il faut que la relation comporte une part «d’inceste», c’est-à-dire qu’on leur fasse subir des attouchements, lavements et toutes sortes de “sévices”. Quand le scénario est coercitif, la personne chargée de faire régresser le Bébé Adulte de force, est plutôt appelée «tante», «Madame», «Monsieur» ou «Maître-sse». Sur les sites anglais, les termes Daddy, Big ou Alpha sont courants, agrémentés de scénarios allant du nursing médical (sangles de fixation, lits médicaux, tables d’examen, etc.) au récit sado-porno (transformation en sextoy humain, orgies, etc).
3. Des couches érotiques sur mesure
«On estime qu’une personne sur 2000 est un adepte des couches parmi la population, soit plus de 34000 en France», affirme la Diaper Alliance Foundation qui estime à 20% la proportion des femmes. Il est difficile de vérifier ces chiffres. Mais très facile, en revanche, de mesurer le succès des pratiques AB à l’aune de l’industrie qu’elles génèrent. De fait, les sites de vente spécialement pour les Bébés Adultes sont pléthore. Les plus connus : Tykables, the dotty diaper company, guwi, kinky diapers, dudea… Le site ABKingdom en recense plus de 60 mais il faut multiplier le chiffre par dix si on compte les sites généralistes qui n’offrent, en apparence, leurs services qu’aux adultes souffrant d’incontinence. Ces sites-là envoient d’ailleurs parfois des «signaux» d’amitié en direction de leur clientèle underground. Sur le site incontinence-protection.com, par exemple, la page dédiée aux problèmes d’énurésie et d’encoprésie mentionne : «Pour vous accompagner au mieux avec le problème que rencontre votre enfant, voici une variété de solutions qui pourront vous aider et vous soulager», alors que les produits présentés dans cette page s’adressent majoritairement à des adultes. Les Adult Babies sont d’excellents clients. Le marché AB représente de fait une véritable manne pour quantité de fabricants spécialisés dans les couches qui s’amusent à lancer des modèles ornés de motifs mignons, inspirés de Pokemon ou de la série animée My Little Pony : les marques Little monsters («pour faire sortir le monstre en vous») ou Dotty Pride (aux couleurs de l’arc en ciel et ornée de licornes par allusion au mouvement LGBT+), par exemple, remportent beaucoup de succès auprès des adeptes de pastel et de féérie. Les AB semblent donc nombreux, si l’on en juge par la taille de leur marché dédié, qui inclut également des romances érotiques, des vidéos en ligne, etc.
4. Les annuaires de nounous
Le marché AB représente aussi une source de revenu non-négligeable dans le domaine des services à la personne : sur Internet, des annuaires sont entièrement dédiés aux Bébés Adultes souhaitant se faire garder par une babysitter, le temps d’une soirée, ou désirant bénéficier d’une séance de prise en main dans un donjon aménagé en chambre d’enfant. Les noms des babysitters sont éclairants : Mommy Domme (maman domina), Nanny Grace (Nounou Grace), Daddy4you (Papa pour toi), Nursery Nurse, etc. L’annuaire contient souvent un questionnaire concernant les activités souhaitées : «Voulez-vous faire la sieste (combien de temps) ? Sucez-vous votre pouce ? Avez-vous besoin de pleurer ? De câlins ? D’une lolette ? De couches ? D’un biberon ? De petits pots (si oui, quelle est votre marque et votre arôme préféré) ? Avez-vous besoin qu’on vous donne la becquée ? Souhaitez-vous être exhibé en public dans une tenue de bébé, de bambin ou de petit enfant ? Voulez-vous de la discipline (si oui : des tapes sur les mains, une fessée, aller au coin, aller au lit, lavement anal, lavement avec laxatif, savon dans la bouche) ?» En France, les services de nounous professionnelles existent aussi : le phénomène a été merveilleusement documenté par Radio Arte («La formule Bout d’chou»). Cela signifie-t-il que les AB sont des hommes isolés, dont aucune femme ne veut ? Pas tout à fait. Leur profil est souvent celui de personnes bien intégrées, vivant en couple. L’épouse ne trouve généralement pas le scénario excitant, ni son mari très viril dans le rôle d’un poupon… Elle n’a pas non plus forcément les compétences requises. Il faut du talent pour jouer la gentille nounou ou la méchante nourrice.Les femmes Adult Babies ont généralement plus de facilité à partager leur fantasme avec leur partenaire : l’immaturité n’est pas incompatible avec les canons de la féminité.
5. Des «fuites», des accessoires et des mots humiliants
Les pratiques liées aux «fuites» urinaires ou fécales ne sont pas systématiques et flirtent souvent avec la peur et la honte. Les scénarios de Bébés Adultes reposent en grande partie sur l’usage de tenues –grenouillères, bavoir, bonnet, manchons– et d’accessoires conçus pour suggérer l’idée à la fois de la sécurité, de la douceur, du pouponnage et d’une dépendance humiliante : parfois le bébé fait des bêtises, ou bien on lui rappelle à bon escient son statut de marmot. Piégé dans un environnement «suave», infantilisé par les mots qu’on lui adresse et qui reposent généralement sur des redoublements hypocoristiques (le petit cucul, ma fifille, un bon dodo), le Bébé Adulte fait l’objet d’une prise en charge permettant de le rabaisser (rapetir) symboliquement. Au niveau des accessoires, le plus significatif est un écarteur de jambes – disponible tantôt en version “bouée” (inflatable diaper spreader), tantôt en version baudrier (spreading crotch harness), ou en version cockpit (spreader pants)– qui force le Bébé Adulte à marcher en canard : impossible de serrer les cuisses. Le voilà qui avance de façon pataude, parfois engoncé dans une culotte à dentelles grotesque. Un autre instrument de mortification, c’est le harnais qui empêche le Bébé Adulte d’enlever sa sucette (fixation de tétine) ou pire : ses couches (diaper holder). Le voilà forcé de mariner dans ses propres besoins, tout le temps que pourra durer l’outrage… Ce genre de séance n’est pas souvent très prolongé : il importe de protéger sa peau.
6. Quelles explications pour quelles pratiques ?
L’explication communément admise veut que les pratiques AB correspondent d’une part à «la fatigue d’être soi», d’autre part au désir de retrouver la liberté, l’insouciance et l’irresponsabilité de l’enfance. Enfin se démettre de tout self-control. Mouiller ses langes, se laisser talquer, ne plus rien décider soi-même, recevoir de l’amour sans conditions… Bien que tous les Adult Babies ne soient pas urophiles et scatophiles, Katharine Gates (qui consacre une page à l’ABDL dans la version réactualisée de son livre Deviant Desires) y voit «une forme de rébellion contre l’apprentissage de la propreté [toilet training], parce que c’est la période durant laquelle on nous appris à renier notre sensualité polymorphe et nos plaisirs corporels. Pendant cette phase d’apprentissage, le monde adulte a tenté de nous conformer à l’idée que les fluides et les excrétions sont sales, tabous et dangereux.» Un adepte de scénarios régressifs SM propose une autre explication : être AB, dit-il, c’est repartir à zéro dans la vie et subir une nouvelle programmation, être reconfiguré, se voir attribuer une nouvelle identité sexuelle, explorer une nouvelle possibilité d’existence… tout aussi aliénante que celle qu’on a subi jusqu’ici, d’ailleurs. «Il s’agit moins de retourner en arrière dans le passé, dit-il, que d’être sous contrôle. Quand tu es Adult Baby, tu reviens à cette période d’indétermination, quand ton sexe n’est pas défini et te voilà repris complètement en main. Une nouvelle programmation peut avoir lieu, suivant les désirs de la personne qui fera de toi une petite fille, un petit garçon ou un simple instrument. Te voilà privé-e de toute autonomie. AB, c’est un sorte de bondage mental.» D’autres explications sont possible bien sûr. Il existe probablement autant d’interprétations qu’il existe de pratiques dans ce milieu hétérogène.
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POUR EN SAVOIR PLUS : créé en 1999, ABKingdom est la référence absolue en matière d’ABDL en France. On peut aussi utilement consulter le site d’information Diaper Alliance Fondation.
A LIRE : Deviant Desires. A Tour of the Erotic Edge, de Katharine Gates, éditions PowerHouseBooks, décembre 2017.
CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER EN TROIS PARTIES SUR LES JEUX EROTIQUES TEMPORELS (AGE-PLAY) : «Sissyfication, mode d’emploi» ; «Savez-vous distinguer un AB d’un DL ?» ; «Six choses que vous ignorez sur les Bébés Adultes»
NOTE (1) La communauté dite ABDL se sous-divise en Adult Babies (AB) qui fantasment sur l’infantilisation et en Diaper Lovers (DL) qui aiment porter des couches sans forcément jouer aux bébés. Les deux pratiques sont souvent liées, mais pas toujours.
LES ILLUSTRATIONS DE MODE sont empruntées à la marque Little for big