Chez les Défappeurs, le nouveau service anti fake news porno du Tag Parfait, on a du pain sur la planche. Il faut dire que les clichés autour du porno pullulent et sont légion dans les médias, parfois même jusque dans l’industrie porno ! Pour tenter de remettre un peu de vérité dans ce monde de fantasmes, on va s’attaquer à un des plus gros mensonges que traine le porno : l’argent qu’il génère.
Vous entendrez très souvent que le porno est un secteur puissant au chiffre d’affaires de 100 milliards de $ par an. Il n’en est rien. On est désolé de doucher vos espérances en la matière, mais d’après les professionnels du secteur, l’industrie porno s’accorde à peu près sur un chiffre (même s’il reste difficilement vérifiable puisque les entreprises ne dévoilent que rarement leurs chiffres) : celui de 5 milliards de $ par an. C’est tout de suite moins impressionnant.
Source : InternetPour vous donner une échelle, c’est équivalent au chiffre d’affaires du groupe Canal+ en 2016, ce qui est finalement assez peu pour une industrie qu’on dit « si puissante et profitable ». Si on jette un oeil aux deux entreprises françaises qui dominent le marché français et qui communiquent sur leurs revenus (dont la production porno pure n’est maintenant qu’une part mineure de leurs activités), on trouve 35 millions d’euros par an pour le groupe Marc Dorcel et 16 millions d’euros pour le groupe Jacquie et Michel. Des PME françaises qui fonctionnent bien, au rayonnement important (parfois à l’internationale) mais à des années-lumière de ce qu’on imagine du secteur.
Une journée ordinaire au Tag Parfait au coeur du business porno
Pour comprendre la raison du problème, commençons par faire ce que font la plupart des gens bien intentionnés : lancer une recherche sur Google. On trouve assez rapidement des chiffres sur l’industrie porno, surtout un gros : celui très précis de 97 milliards de dollars par an. Peu osent citer leur source, pourtant beaucoup l’utilisent (Slate, La Tribune, l’ADN, L’Express…) et beaucoup relaient cette information étonnée (sites de buzz, infographies, citations à la télévision…). Etrange ? En effet. Alors allons voir d’où est tiré ce chiffre souvent arrondi à la centaine de milliards, car on n’est parfois plus à 3 milliards près.
Rapidement, on arrive sur une « étude » de TopTenREVIEWS sortie en 2007, un agrégateur de contenu qui générait à l’époque pas mal des statistiques sur internet assez vite reprises dans les médias en ligne. Pour la pornographie, il nous apportait ces données : en 2006 le porno générait dans le monde 97 milliards de dollars, dont 13,3 milliards aux Etats-Unis, 27,4 milliards en Chine, 25,7 milliards en Corée du Sud et 20 milliards au Japon. Si les chiffres américains sont détaillés par secteurs d’activités (VOD, Internet, Cable, magazines…) et sont relativement crédibles (à une époque où le porno se portait bien mieux que maintenant, c’est à dire avant l’arrivée des tubes porno), on commence à sérieusement douter du reste. En effet, la Chine et la Corée du Sud n’interdiraient-elles pas le porno, jusqu’à mettre en prison de simples webmasters ? Si cette étude prend des pincettes et avoue ne pas pouvoir préciser certains chiffres, elle s’appuie tout de même sur des sources fiables qui se résument à une longue liste de médias jetée en vrac à la fin du papier. Un travail au premier abord sérieux mais qui se contente d’additionner des informations non vérifiées.
« Sources fiables mais difficiles à vérifier »
En s’approchant de plus près encore, on apprend bizarrement que la France ne fait même pas partie du top 16 des pays où l’on consomme le plus de X. A contrario, un pays comme les Philippines, avec 87 millions d’habitants à l’époque, générait selon eux un rondelet milliard de dollars par an en 2006. C’est d’autant plus curieux que ce pays punit la consommation de porno. Dès lors d’où vient ce chiffre, si une nouvelle fois la population n’a officiellement pas le droit d’en regarder (et prend donc un très gros risque en en achetant) ? En fouillant ailleurs, on découvre qu’il est issu d’un court article du magazine American Chronicles et concerne… le marché noir.
Des chiffres invérifiables mais inscrits avec une certaine autorité qui se retrouvent depuis dix ans dans un nombre assez hallucinant d’articles, de mémoires ou d’infographies… qui ne font que perdurer le fantasme de l’industrie porno comme une puissante force de l’ombre.
Mais où est passée la France ?
Plus c’est gros, plus c’est beauChiffres invérifiables, extrapolation de revenus via le marché noir dans des pays qui interdisent la vente de porno, absence notable de données dans des pays occidentaux qui pourtant sont producteurs, distributeurs et consommateurs de porno (France, Espagne, Suisse, Belgique…), cette étude de TopTenREVIEWS est ce qu’on appelle dans le langage courant : une belle merde. Pourtant elle semble faire foi sur internet et ailleurs (jusque dans l’industrie). Pourquoi ?
Avec l’absence d’études sérieuses et récentes, les pincettes que prennent les professionnels du secteur (Xbiz et AVN) qui sont ignorés des médias traditionnels, sans oublier les chiffres très variables rencontrés sur Wikipedia (on varie entre 4 et 20 milliards selon les pages liées au sexe et au porno), on a vite fait de se contenter du plus gros chiffre, car c’est joli et ça impressionne. On en arrive même à des situations absurdes où un site (trop) bien référencé dans Google France arrive à afficher sur une même page : 73 milliards de $ par an, puis seulement 7 milliards et enfin 53 millions. Vous allez nous dire : Planetoscope n’a jamais été fiable ; on vous répondra que la plupart du temps personne ne fait l’effort d’aller plus loin que la première page de Google. Dommage.
La prochaine fois que vous entendrez parler des revenus du porno, qu’ils soient donnés par an ou par seconde, questionnez l’auteur, demandez-lui sa source. La vérité commence parfois quand on la questionne.
Image en une : Greg Lansky, le millionnaire